Mardi 10 janvier 2023
Culture
Niki de Saint Phalle
De la femme enragée à une artiste engagée
« Comme tous les contes de fées, avant de trouver le trésor, j’ai rencontré sur mon chemin des dragons, des sorcières et l’ange de la tempérance »
Annabelle Ténèze, directrice des Abattoirs, poursuit sa programmation 2022 sur l’engagement de femmes emblématiques du XXe siècle. Après l’anti conformiste Orlan, l’autodidacte aristocrate Niki de Saint Phalle est à l’affiche jusqu’au 5 mars 2023. Célèbre pour ses « Nanas » (gigantesques sculptures de femmes très colorées) et ses séances meurtrières de « Tirs » sur ses toiles, la conservatrice propose au public de la découvrir à travers une période beaucoup moins connue, celle des années 1980-1990 de « L’art en liberté ». Epoque où l’artiste va s’affranchir des codes et de la suprématie masculine à travers la diversité de son travail, l’invention d’un modèle d’entreprenariat novateur, et la création d’un statut propre aux artistes féminines.
Dans le hall de l'exposition, l'univers de Niki de Saint Phalle est résumé dans une explosion de couleurs : des énormes Nanas joyeuses au dragon malveillant !
Le Jardin des Tarots
Pas de parcours linéaire mais des allers- retours dans les salles pour comprendre l’histoire d’une artiste hors du commun racontée par un conférencier passionnant. Point de départ de cette évocation : le Jardin des Tarots.
Deux décennies vont marquer l’aventure de ce lieu (démarré en 1978). Inspiré par le parc Güell de Gaudi (Barcelone), le palais du Facteur Cheval (Drôme) ou plus ancien le Jardin des monstres de Bomarzo (proche de Rome), cet ensemble monumental situé en Toscane du sud sera, pour elle, lieu de vie et de création. Mystique, Niki pratique à cette époque la cartomancie et s’inspire des 22 arcanes majeurs du tarot pour créer de gigantesques sculptures habitables. Elle vivra, durant les 6 premières années du chantier, dans la plus célèbre d’entre elles : L’Impératrice.
La visite démarre donc par la genèse de ce lieu fantasmagorique à travers des photographies, maquettes, dessins qui nous la présentent en maitre d’œuvre très impliquée (salles 4 -5). Réfractaire au mécénat, elle ira, pour auto financer ce projet, jusqu’à créer son propre parfum dans un sublime flacon aux serpents enlacés, son animal totem (salle 2). En face (salle 8), le Mobilier d’artiste (fauteuils, tables, vases, miroirs etc.) démontre sa volonté de faire entrer l’art chez tout un chacun et transformer le quotidien en quelque chose d’exceptionnel.
Le Mur des rages
Retour en arrière à présent sur les surprenantes Skinnies. Sculptures tout en creux et vide (à l’opposé des Nanas) peu médiatisées, elles font écho à sa fragilité pulmonaire pour laisser passer l’air dont elle manque tant. Intoxiquée depuis ses débuts par son matériau de prédilection, le polystyrène aura raison de sa santé (en 2002). Mais avant le clap de fin, ses combats pour la défense de la cause noire et celle du sida vont la mobiliser durant ses années américaines. Avant d’aboutir (salle 7) à L’écriture de soi où le « Mur des rages » liste, parmi 84 raisons, l’inceste paternel subi à l’âge de 12 ans (1942).
L'art de Niki se nourrit des épisodes de son histoire personnelle. Ses souffrances pulmonaires vont lui inspirer les Skinnies, sculptures filiformes traversées par le vide qui aide l'artiste à respirer.
L’éclairage de tout le parcours se fait à la fin de l’exposition (Tête de mort au sous- sol). On comprend alors que Niki de Saint Phalle va trouver sa résilience dans un art à l’anti thèse du traumatisme : gai, coloré, monumental. Très peu abordé dans son œuvre, il n’en demeure pas moins omniprésent et le moteur de son expression.
Une exposition-événement déjà vue par des milliers de Toulousains.
Photos par : Lydie Lecarpentier
Un conseil :
Suivre la visite guidée proposée tous les mercredis et samedis à 14h
(réservation obligatoire).
Jusqu’au 5 mars du mercredi au dimanche à partir de 12h.
www.lesabattoirs.org